ACTE 1 SCENE 5

ACTE 1 SCENE 5

SCENE V. – UN MESSAGER, DOMINIQUE, ELISE, ANGELIQUE.

 

LE MESSAGER

J’achemine céans un écrit de mon maître,

Honoré.

Il extrait une enveloppe de sa veste et la remet à Elise.

C’est ce pli, paraît-il très urgent,

Qui était confié à mes soins diligents

Et que je dois remettre entre vos blanches mains.

 

ELISE

Je vous en remercie. Votre effort surhumain

Dans la célérité trouve grâce à mes yeux.

Dominique ! Veuillez raccompagner Monsieur

Dont l’exemplaire entrain devrait vous faire envie.

Soyez aussi véloce et j’en serais ravie.

Le messager sort, précédé par Dominique.

L’enveloppe, à présent. Hâtons-nous de l’ouvrir !

 

ANGELIQUE

Oui ! Que veut Honoré ? Qu’a-t-il donc à écrire ?

 

ELISE, Après une rapide lecture du billet.

Dans ce que j’ai pu lire au travers de ces lignes,

On entend se gausser la malchance maligne.

Ton père, en quelques mots, m’assure qu’il regrette

De ne pouvoir tantôt être aussi de la fête,

Car, a-t-il précisé, son fâcheux capitaine

Le maintient au quartier durant une semaine.

A cet impératif, il ne peut répliquer.

De peur d’être blâmé, ce qu’il ne veut risquer.

Pour finir, il me charge, au cours de son absence,

D’avoir à ton égard un brin de vigilance.

 

ANGELIQUE

Mon Dieu, je suis navrée…

 

ELISE

Son verbe était morose.

 

ANGELIQUE

C’est depuis tant d’année toujours la même chose !

 

ELISE

Précise ta pensée.

 

ANGELIQUE

Hélas, point de mystère !

Tu sais bien qu’Honoré, mon père, est militaire.

 

ELISE

Si fait.

 

 

ANGELIQUE

Et bien, ma chère, il arrive parfois

Qu’un petit général de fort mauvais aloi,

Terrassé par l’ennui, lassé de ne rien faire,

Quand les mondanités n’ont plus l’heur de lui plaire,

Lorsqu’il est fatigué de toujours tout avoir,

Que ses galons moisissent dans sa tour d’ivoire,

Se fasse violence et puis, vaille que vaille,

Décide tout à coup de se mettre au travail.

L’homme, bien résolu, enfourche alors sa croupe

Qu’il entraîne au galop pour inspecter ses troupes.

L’Auguste vient, sujet féaux ! Qu’on se le dise !

Sa visite, bien sûr, n’est pas une surprise.

Car il faut, n’est ce pas, trois cents hommes au moins

Pour convoyer Monsieur, être à ses petits soins.

Et puis, chemin faisant, on chasse quelque faon,

On tue, pour s’amuser, trois ou quatre manants,

Et le bon général, si le cœur lui en dit

Maltraite une bergère et se sent rajeuni.

Le quartier, cependant, est en effervescence ;

Il faut se dépêcher : le général avance !

Nos hommes, tout trempés de sang et de sueur,

Préparent dignement les chemins du seigneur,

Travaillant nuit et jour, sans répit, sans relâche,

S’épuisant au labeur, se tuant à la tâche.

Ils restaurent ainsi les routes, les sentiers,

Afin que l’inspecteur n’use point ses souliers.

L’avoine ou bien le foin qui faisaient tant défaut

Sont soudain abondants et livrés aux chevaux.

Puis, on les laisse aux champs se gaver en pâture

Pour qu’au jour du grand jour, ceux-ci aient bonne allure.

On graisse les canons, on charge les mitrailles,

On peaufine en recoins le plus petit détail.

La misère est masquée par de vains artifices

Au prix de grands efforts, d’immenses sacrifices.

Et, quand le général, à la lueur des torches,

Sur son blanc destrier franchit enfin le porche,

La troupe est alignée, muette, en rangs d’oignons.

Les honneurs sont rendus : drapeaux et fanions

S’inclinent vers le sol. On dépose une gerbe.

Alors, le général, du haut de sa superbe,

Enonce froidement ce discours, en substances :

« Soldats, je vois chez vous beaucoup trop d’opulence !

Vos chevaux sont trop gras, trop lourds, moins performants ;

Vous serez donc à pied, Messieurs, dorénavant ».

 

ELISE

Qu’on les laisse jeûner, ces sacrés animaux !

 

ANGELIQUE

Non ! Mauvais entretien : confisqués de nouveau !

 

ELISE

Mais s’ils étaient nourris avec parcimonie,

Leur ligne épouserait d’un pur-sang l’harmonie.

 

ANGELIQUE

Trop, ce qui prouverait que l’on ne s’en sert point

Et que, par conséquent, l’on n’en a pas besoin !

Tout comme les canons, puisque eux aussi, ils s’usent !

 

ELISE

Que dit le général ?

 

ANGELIQUE

Prenez des arquebuses !

 

ELISE

Honoré ne sera pas des nôtres, ce soir,

Pour entendre cela ?

 

ANGELIQUE

Oh oui ! Tu peux me croire !

Mais cet empêchement devrait être béni

Bien qu’il ne soit pourtant dû qu’à la tyrannie.

Sans sa garde, en effet, j’oserai me frayer

Au milieu de ces gens.

 

ELISE

Je dois te surveiller !