ACTE 1 SCENE 3

ACTE 1 SCENE 3

SCENE III. – ELISE, ANGELIQUE.

Une fenêtre s’ouvre sur un balcon qui surplombe la rue. Les deux amies paraissent.

 

ELISE

Comment te sens-tu donc, ravissante Angélique,

Pour ce bal que j’espère exquis et féerique ?

 

ANGELIQUE

Si j’avais maintenant un vœu à formuler,

Ce serait de pouvoir sur-le-champ y aller ;

Mais ce désir pourtant, n’a point de pertinence.

Il est à la hauteur de mon impatience.

Ta compagnie réchauffe et mon âme et mon cœur ;

Plus qu’une simple amie, tu m’es presque une sœur.

 

ELISE

On entend s’exprimer dans ta bouche jolie,

A la fois gentillesse et tournures polies.

De tous les gens pour qui, des sentiments je porte,

C’est à toi que revient la partie la plus forte.

Je l’avoue humblement. Crois-moi ! Mais venons-en

Au bal de celle nuit.

 

ANGELIQUE

Oui. Le bal, à présent !

Ce sujet m’intéresse et prends garde surtout

De ne rien oublier. Va ; raconte-moi tout.

ELISE

Les amis qui, chez moi, convergeront bientôt,

Dans ce sobre manoir, ce modeste château,

Seront assez nombreux mais, pour les répartir,

Ces deux pièces devraient bien amplement suffire.

Ainsi, de ce côté, les plus fous seront aise

Pour rire et s’amuser, qu’aux pleurnicheurs ne plaise,

Danser comme il leur sied, sur un fond de musique,

Quelques valses rythmées ou javas folkloriques.

Dans la chambre en regard se tiendra le buffet

Pour boire et grignoter. D’ailleurs, à cet effet,

À longueur de journée, tous mes valets s’emploient,

Et si tu pouvais voir l’énergie qu’ils déploient,

À concocter pour moi cent mets délicieux

Qui feront, cette nuit, l’heur de ces messieurs.

 

ANGELIQUE

Elise, mon amie, tu es donc bien farouche

D’avance m’avertir. J’en ai l’eau à la bouche !

En revanche, ce qui ne m’aurait point déplu,

C’est, sur tes invités, d’en savoir un peu plus.

 

ELISE

Ils sont, au demeurant, tous plus ou moins égaux.

Trois d’entre eux, seulement, pourraient sortir du lot.

Le premier de ceux-ci se prénomme Philippe ;

Il se peut comparer à Fanfan-la-tulipe.

Lui, c’est un bout en train. Il est heureux de vivre,

Mais il a le défaut d’être fréquemment ivre.

Or ces deux gais lurons ont, en outre, pareil

Un penchant prononcé pour la dive bouteille.

A ce propos, je crois que notre ami, ce soir,

Pourra trouver ici tout ce qu’il se peut boire.

 

ANGELIQUE

Ton ami m’a tout l’air d’être maroufle et gauche…

 

ELISE

C’est assez bien décrit. A présent, je t’ébauche

Le portrait de Cypris. Même s’il est gentil,

Tu dois t’en méfier : je t’aurai avertie !

Car cet éphèbe emploie sa charmante apparence,

Son discours envoûtant et toute sa prestance

Pour mettre sous son joug, avec délicatesse,

Les filles qu’il s’attire. Et, fut-elle comtesse,

Marquise raffinée, Princesse inabordable,

Il investit son cœur pourtant impénétrable.

Quelques fois, rarement, son verbe gracieux

N’a point d’effet. Tant pis, il en use des yeux

Pour la terrasser puis, comme un mage, un fakir,

Sans soupir de sa proie, celle-ci s’asservir.

Il n’en n’est jamais trop de bravoure et d’ardeur

Afin de repousser ce charmeur prédateur

Et briser ses assauts fulgurants et notoires.

Celle qui gagnera cette illustre victoire

Pourra s’enorgueillir or, à ma connaissance,

Cypris a toujours su vaincre les résistances.

De plus, ce beau parleur faiblit pour les divas

Et… Tu aimes chanter ! Gare à Casanova !

 

ANGELIQUE

L’homme que tu décris paraît invulnérable !

 

ELISE

Il est tout à la fois ignoble et adorable !

 

ANGELIQUE

Mais si à mon endroit il y a quelque projet,

Je puis t’assurer que ton tendre au cœur léger

N’aura point le loisir de pouvoir aisément

Conquérir ma tendresse et mon consentement.

Il lui faudra combattre un argument de poids :

C’est mon père, Honoré, qui sera près de moi.

Il est mon seul parent, ma dernière famille,

Et Dieu sait ô combien lui est chère sa fille !

Voulant me protéger, il craint comme la peste

Les coureurs de jupons, si bien qu’il les moleste

Lorsqu’ils rôdent trop près de son enfant unique.

Je t’accorde qu’il est quelquefois tyrannique.

Si j’avais dû venir seule et incognito,

Il m’aurait à coup sûr opposé son véto.

En tenant ce discours, j’ai l’air de divaguer,

Mais s’il s’en vient tantôt, c’est pour faire le guet

Et surveiller du coin de l’œil ces inconnus…

Au fait, pardonne-moi, je t’ai interrompue.

Quel est donc ce troisième et dernier personnage ?

Mais que t’arrive-t-il ? Tu es soudain en nage !

 

 

 

ELISE

Je me dois, en effet, de ce brillant trio,

Si j’y puis parvenir avec quelque brio,

De t’évoquer enfin le dernier élément :

C’est mon ami Cypher, plus encor, mon amant.

Dès lors, tu entends mieux pourquoi ce vif émoi

Qui t’a tant intriguée s’est emparé de moi.

Car cet être chéri anime mes pensées

Nuit et jour, et jamais je n’en serais lassée.

Ma flamme à son égard en est des plus brûlantes ;

C’est un foyer ardent, de la lave bouillante.

Mais ma bonne Angélique, il convient que tu saches

Que cet amour grisant qui me lie, qui m’attache

N’est, malgré cette ardeur, pourtant point réciproque :

De mon attachement, souvent Cypher se moque.

Il m’a laissé entendre qu’à ses sentiments,

Il se jurait de mettre un terme, incessamment.

Ce terrible dessin m’éprouvante et me peine.

S’il fuyait, j’userais de tout pour qu’il revienne.

 

ANGELIQUE

Ta sombre perspective est, en effet, brutale,

Mais c’est vite augurer d’un dénouement fatal.

Avec ténacité, avec force courage,

Persiste à espérer toujours et davantage.

Cypher est encor là, partant, rien n’est perdu ;

Ses projets, pour l’instant, ne sont que prétendus.

Il t’aime n’est ce pas ? Alors, reste sereine,

Puis de ses vœux, d’ailleurs, es-tu vraiment certaine ?

 

ELISE

Tu es l’unique au monde, adorable Angélique,

Qui puisse ainsi parler pour chasser ma panique.

Ton conseil avisé rend mon âme légère.

 

ANGELIQUE, l’air horrifié, regarde la pendule.

Il est grand temps d’aller nous préparer, ma chère !

 

ELISE

Puisque nous en parlons, voudrais-tu me décrire

La façon dont, ce soir, tu entends te vêtir ?

 

ANGELIQUE

J’en garde le secret !

 

 

ELISE

Allons !

 

ANGELIQUE

C’est la surprise !

Je ne porterai point ma mousseline grise !

Mais pour te faire honneur, puisque c’est un grand jour,

Je me présenterai dans mes plus beaux atours.

Et j’y cours sur le champ, m’habiller avec soin ;

Le sablier s’épuise et le bal n’est plus loin.

Dominique se présente dans l’entrebâillement de la porte du balcon.