ACTE I
Une rue au cœur de la ville.
SCENE I. - CYPRIS et CYPHER, faisant mine de chercher quelqu’un.
CYPRIS
Mais n’est-ce pas Cypher, mon ami de toujours,
Que j’aperçois là-bas, sous ce maigre abat-jour ?
Sa fine silhouette, son teint empourpré…
Je vais m’en approcher pour le voir de plus près.
Cypher, marchant d’un pas rapide vient à la rencontre de Cypris.
Ah ! Je le devinais ; c’est donc bien toi qui viens.
Dis-moi, mon cher ami, que tu te portes bien.
CYPHER
Grands dieux, tu as raison ! Je suis tout essoufflé
D’avoir couru vers toi ; j’en ai les pieds enflés !
CYPRIS
Mais que signifie donc ce vif empressement ?
S’il te plaît, prends ton souffle et parle calmement.
CYPHER
Voila une heure au moins que je suis à tes trousses,
Arpentant la cité sans trouver ta frimousse.
Désormais, je te tiens ; c’est tout ce qui m’importe.
CYPRIS
Pourquoi me cherchais-tu ?
CYPHER, exhibant une enveloppe.
Ce pli que je te porte.
CYPRIS
Une invitation ? Où est-ce ?
CYPHER
Chez ma mie.
Elle donne ce soir un bal pour ses amis
Et m’envoie t’avertir qu’elle serait peinée
Si, pour quelque raison, jamais tu n’y venais.
A toi de décider mais, si tu m’as compris…
CYPRIS
Elise veut me voir…
CYPHER
Oui… Dis donc, je t’en prie !
CYPRIS
Ce que tu me dis-là, mon bon ami Cypher,
A l’art de me ravir et le don de me plaire.
Préviens ta chère Elise que ce soir j’irai
A sa réception dont je lui sais fort gré.
CYPHER
Holà !
CYPRIS
Quoi ?
CYPHER
Doucement !
CYPRIS
Qu’y-a-t-il ?
CYPHER
Chère, chère…
Viens… Plus près.
Cypris se rapproche pour écouter la confidence.
Entre nous, je voudrais m’en défaire.
CYPRIS
Mais, ne disais-tu pas…
CYPHER
Essaie donc de m’entendre !
Voilà que, depuis peu, j’en arrive à surprendre
Des tourments insensés dans le cœur de ma mie
Qui viennent fréquemment troubler notre alchimie.
Mon Elise, en effet, me reproche sans cesse
D’être un peu nonchalant, de manquer de tendresse,
Et de n’avoir jamais pour elle un mot gentil,
Ce qui est faux, bien sûr. Je te le garantis !
Seulement, j’oublie tout ; c’est ce qui me dessert,
Surtout lorsqu’il s’agit de son anniversaire !
Tu vois où me conduit l’effet du surmenage !
CYPRIS
Je vois. Tiens, à propos… Mais ça lui fait quel âge ?
CYPHER
Dix neuf ans… Environ ! Enfin, quoi qu’il en soit,
Tu entends aisément qu’Elise me déçoit.
C’est pourquoi, cette nuit, au bal qu’elle organise,
J’éteindrai sans regret la flamme qu’elle attise.
Cette humeur massacrante et maussade me lasse.
CYPRIS
Je ne voudrais pour rien au monde être à ta place.
Mais comme ces temps-ci, aucune brune ou blonde,
Du fleuve de ma vie ne vient perturber l’onde,
Je suis loin d’éprouver ton terrible calvaire,
Ces sautes imprévues, ces volées de bois vert.
Pour revenir à ton aimable dulcinée,
Même si, quelque peu, tu t’estimes gêné,
Son hospitalité, tu peux le reconnaître,
Ne puit qu’être louée.
CYPHER
Force m’est de l’admettre.
Philippe apparaît au bout de la scène ; sa démarche est visiblement hésitante.
Est-ce lui ?
CYPRIS
Je crois bien… C’est Philippe, là bas.
Il claudique, on dirait.
CYPHER
Oui, il traîne le pas.
Hélons-le.
CYPRIS
Oh, l’ami !
Philippe les aperçoit et s’avance vers eux, la démarche hésitante.
CYPHER
Il semble désœuvré.
Mais regarde-le donc ! Je le crois ennivré.